Guévork Aïvazian
Magneto #4 - mai 2022

8 mai 2022, 15:30
Amsterdam (Pays-Bas)


00;00;03;08 - 00;00;34;49 — Yegan
Maître Guévork Aïvazian, bonjour. (rires

Du coup, c'est bon, on a fait le test et bien commençons. Interview entre deux mecs en col roulé (rires)

Guévork
On était souvent les seuls. 

Yegan
C'est vrai qu'on était les seuls en col roulé à l'ancienne. Commençons par le commencement Guévork. Est ce que tu peux te présenter rapidement s'il te plaît?

00;00;39;44 - 00;01;31;24 — Guévork
Déjà, je m'appelle Guévork, un prénom peu commun donné par mon père. C’est le prénom de mon grand-père mais en sa version de l’Arménie ancestrale. Et je pense que c'est un bon début pour me définir. Parce que partout où j'étais les gens n'arrivaient pas à le prononcer. (rires) Et chaque fois il fallait soit l'adapter, soit s'adapter ou s'intégrer, de l’expliquer. Et tout ça, c'était toujours un effort et un temps. Et je pense que ça reflète bien ma personne que je suis aujourd'hui. 

Je suis quelqu'un qui s'adapte, qui va malgré tous les obstacles trouver son chemin… Je me définirais plus comme l'Eau. L'eau ça me définit bien peut être… Je peux avoir beaucoup de formes différentes, mais ma molécule de base reste toujours la même. Je ne change pas. J'ai des principes, j'ai des règles et ce qui ont été forgées très tôt à l'enfance, à l'adolescence, et qui me poursuivent à l'âge adulte... L'essence elle tient à ça : On a le droit de se mettre à genoux, mais pas de tomber. 

Yegan
Guévork Aïvazian, du coup d'origine arménienne. 

Guévork
Oui, d'origine arménienne, ou simplement arménien. Je suis né en Azerbaïdjan, grandi en Russie, Biélorussie, Géorgie, vécu un certain temps en Pologne, Ukraine, Lituanie, ce sont de courts passages mais qui ont eu un impact et qui m’ont fait grandir. Je viens d'une famille commerçante à la base, plutôt aisée je dirais mais il est difficile de parler du « capital » dans une société communiste… Et puis il y a eu la chute de l'URSS, c'était la fuite de ma famille du territoire azeri, étant d'origine arménienne et la minorité arménienne a connu des pogroms à l’époque... Mes parents sont partis. On était assez jeune, j'avais 5-6 ans, je ne me souviens pas très bien. Quelques souvenirs se sont formés ensuite mais que je pense sont plutôt racontés, que j'ai imaginés par la suite, plutôt que de véritables souvenirs à moi.

Et puis, grandis, forgé, je dirais à Minsk, en Biélorussie, et en une partie en Georgie, pays dont je reste très attaché. Toutes ces années-là, et durant ma quête de devenir footballeur professionnel… (rires)

Yegan
C'est vrai j'avais zappé ça ! (rires)

Guévork
Dès l'âge de dix ans, j'ai fait du foot et j'en faisais intensément. Et puis, repéré à l'âge de douze ans, j'ai intégré un centre de formation et je jouais pour les jeunes en vue de devenir professionnel. D'abord à Dynamo Minsk, puis à Tbilissi en Géorgie. 

Yegan
Fou.

Guévork
Oui, c'était un moteur incroyable. C'était un moteur incroyable parce que déjà, dans la vie quotidienne, il fallait s'en sortir… Et c’était vu par moi comme seul issue. Pourquoi ? Parce qu'on restait toujours une minorité là où on allait. Et sans papiers, (parce qu'on a fui rapidement l'Azerbaïdjan en plein conflit) il fallait se débrouiller, se cacher, changer rapidement d'endroit. Cela par ailleurs a impacté le devenir de mon caractère : il faut très rapidement observer, très rapidement prendre connaissance des informations de l'environnement, des gens qui t'entourent. Notamment les enfants, ça peut être très cruels… Et il fallait très vite comprendre qui est qui, surtout dans la rue pour s’en sortir.

J'ai passé pas mal de temps dans la rue, du fait que je n'ai pas été scolarisé. Donc j'ai reçu une éducation à la maison un peu à l'ancienne, dont je ne regrette pas. Et je suis extrêmement reconnaissant envers mes parents. 

Yegan
T'as pas trop de lacunes aujourd'hui (rires)

Guévork
Je ne pense pas, j’essaye, je sais pas (rires). Sinon la curiosité, c'est un autre truc qui me définit bien. C'est quelque chose qui me fera toujours garder enfant et c'est un des plus gros moteurs de ma personnalité, de mon caractère. Je suis curieux de tout et toujours. Et s'il y a des choses que je ne comprends pas, dans les mœurs, dans l'éducation, philosophie politique ou l'art, etc. ou ce que font les gens, autour, que je vois dans un endroit à un moment donné, je dis toujours que je ne suis pas assez grand pour ça.

Donc je garde cet esprit, et la vie a montré que j'avais, que cette réflexion avait raison. Chaque fois, il y avait et il y a des choses que je ne compreds pas du tout. Et avec le temps j'assimilais ça devient plus clair. Pour l'anecdote, cette réflexion très philosophique ou morale, qui est devenue l'un des piliers de ma personnalité, à s'autogérer, m’est venu avec histoire d’olives… 

Je détestais les olives quand j'étais enfant, mais vraiment, je ne pouvais pas en manger, en voir comme ça, ça me dégoutait et ça a duré des années. Jusqu'à mes douze-treize ans, quelque chose comme ça. Il y avait une fête arménienne avec une grande tablée, il y avait mes parents, ils étaient invités, etc. Et là, j'ai vu passer devant mes yeux une assiette pleine d’olives noires. Et je ne sais pas pourquoi ça m'a attiré. Et j'ai pris une olive et je l’ai mangé… Et puis, j'ai fini par mettre l’assiette devant moi et dévorer toutes les olives une à une jusqu’à la dernière.  

Parce que j'ai tellement adoré ça. Et une fois que j'ai fini, la question que je me suis posée à ce moment-là, je me suis dit « comment c'est possible que quelque chose que je détestais je l'aime tant maintenant » ? 

Et à partir de là, je me suis dit chaque fois qu’il faut du temps pour grandir, c’est vrai pour des choses et surtout pour le goût. Et c'est comme ça que je me comporte, et je garde toujours cette idée-là.

Yegan
Bonne présentation (rires). Intéressant.

Ok pour juste en reparler rapidement. Du coup tu parles de cette errance-là quand tu étais enfant. Est ce que ça a toujours une empreinte aujourd'hui ? Soit dans ta vie, tout simplement dans ton travail, dans ce que tu fais ? 

Guévork
...Oui, la réponse est oui, mais elle n'est pas facile, n’est pas directement, elle n'est pas si simple. Parce que je me suis... Je viens d'une communauté avec des traditions fortes, j'ai traversé des pays où les mentalités sont différentes, les langues sont différentes. On écrit, on parle, on cuisine avec des coutumes différentes. Et du coup, c'est toutes ces choses là qui ont fait- en plus de l'éducation de mes parents - que je suis resté quelqu'un d'ouvert à tout le monde, que l'autre n'est pas une menace mais une chance.

00;09;24;43 - 00;10;01;34
La diversité, plus on emmagasine plus on est fort, plus on est riche. Et cette idée-là est très difficile à dire parce que j'ai un peu trop retranscrit ça, quelque chose en moi... Pour répondre à ta question, c'est le fait de traverser des pays, d'être réfugié, etc. je ne me suis jamais, jamais senti appartenir à une chose, être réfugié, non, être citoyen de ça, non. Mais je me sens être une part de tout dans le tout global, universel. Et j'ai toujours ressenti ça, un lien. Et parfois même au détriment de ma personne au sein d'une communauté, d'un lieu, local, où on veut que tu adhères à des choses précises. Et quand tu exprimes une ouverture d'esprit ou un point de vue différent, ou tu ouvres ton champ de vision à tout l'horizon, complètement à l'opposé de ce qui est proposé localement et étroitement souvent alors parfois tu es vu comme un étranger puis tu es carrément, parfois, condamné à être étranger. Et de ce point de vue là, ça impacte quelque chose. Non seulement ma vie sera impactée, mais tout au long de mon parcours, je me sentirai toujours comme partie intégrante de là où je suis, mais en même temps complètement détaché de tout.

00;11;13;42 - 00;11;37;49
Et ça, c'est quelque chose qui fait partie de ma personnalité et je pense que ça s'est forgé de cette manière-là sans que je fasse délibérément ce choix. Et ça sera comme ça.

00;11;39;12 - 00;12;15;41Yegan
Et tu penses que c'est un truc qui unit un petit peu aussi la communauté arménienne de manière générale, la diaspora ? Ou alors pas tant que ça ?

Guévork
Je pense… Je pense. Il y a un certain âge quand on est jeune, etc tout est possible. Donc on va expérimenter tout. Donc on se détache un petit peu de notre « base », de cette racine qu'on pense qu'on n'a pas ; et on se dit "Ah, je vais intégrer la société française" etc je vais à fond, je vais faire mes études, je vais voyager etc mais avec l'âge et avec une certaine maturité, une sorte de douleur intérieur fait son apparition, celle de la patrie que tu n'as jamais eu, tu retrouves cette racine dans les gens, da,s la communauté qui est finalement assez tangible dans la diaspora et qui fait la vivre à mon sens. 

Donc malgré que je ne suis pas très connecté aujourd'hui avec la diaspora, mais une certaine communauté, des amis, des amis de mes parents, etc, ça fait que je me sens partie intégrante d'eux. Même si ce n'est pas facile à exprimer au quotidien. Là je te dis ça en toute intimité mais devant cette famille élargie dans la communauté elle-même c’est plus compliqué. C'est comme porter un grand amour pour un proche, mais pas pouvoir l'exprimer. C'est un peu ce sentiment que je sens se développer en moi ces 3 dernières années.

00;12;56;44 - 00;13;34;10Yegan
Mais je me retrouve complètement dans cette recherche-là que j’ai observé chez beaucoup d'amis aussi, qui... qui sont dans une recherche de repères, je vois très très bien. OK.

On s'est rencontré au Lavoir, en 2016, je crois ?

Guévork
Plus tôt que ça même, je crois, 2014, fin 2014.

Yegan
Ah ouui, 2015 / 2014, on est arrivé c'est vrai.

00;13;34;12 - 00;14;12;53Guévork
Mais je suis arrivé au Lavoir indirectement grâce à toi, tu ne connais pas l'histoire? Si, tu connais l'histoire mais tu l'as oubliée. En fait, en vrai, moi j'ai fini mes études de droit et je faisais une recherche d'atelier et je regardais sur Facebook des trucs improbables, des annonces, des groupes etc et je faisais déjà un petit peu de la photo analogique et j'avais vu sur un post improbable sur un forum… j'ai vu que quelqu'un vendait du matériel de labo photo argentique. Du coup, à ce moment-là je me suis dit c'est intéressant qui l'a acheté et pourquoi ? Et en fait c'était toi, j'ai vu qu'il y a un certain Yegan Mazandarani a acheté du matos et où ? Quoi ? Et après dans ton profil j'ai vu que tu étais au Lavoir. J'ai regardé ce que c’est et trouvé le contact du Lavoir, je ne savais pas du tout ça. J'ai découvert le Lavoir comme atelier d’artistes et c’est comme ça que j’y suis arrivé. 

Et puis j'ai rencontré Marin co-fondateur, qui m'a présenté le Lavoir et j'ai tout de suite adoré l'énergie qu'il y avait. 

Yegan 
Mais t'es arrivé avec la première génération?

Guévork
Non je suis que je suis arrivé avec la deuxième génération.

Yegan
Ah je pensais que t'étais dans la première 

Guévork
Non, le premier c'est ceux qui ont construit carrément de Lavoir.

00;15;07;09 - 00;15;30;48Yegan
Ouais, ouais, je me considère comme première génération, mais je suis arrivé au moment...

Guévork
T'étais un et demi ! (rires

Yegan
Je suis arrivé au moment où la construction c'était fini, fini, mais il y avait personne dedans. (rires). Donc on s'est rencontré là-bas et je me souviens, je parlais beaucoup de toi autour de moi parce que ça avait de la gueule, je disais à chaque fois "il y a mon pote Guévork, qui est juriste, qui parle je sais pas combien de langues, qui est designer, qui a son magazine artistique et qui est plasticien aussi". Et je disais souvent “c'est l'avocat / plasticien” de Sauvage*, j'aimais beaucoup. Est-ce que tu peux me parler un petit peu de ça, tu es avocat ou juriste je me souviens plus ?

*Note : Sauvage, studio de création créé en 2016.

00;15;53;51 - 00;15;59;51Guévork
Non. Je suis juriste pas avocat, il faut passer du barreau pour devenir avocat.

00;16;02;04 - 00;16;29;00Yegan
Juriste. Suite à ça, t'en arrives au design, à la photo, à des pratiques plastiques, à l'édition aussi c'est vrai que j'ai oublié. Comment tout ça ? Comment tout ça en même temps ? Comment c'est né ? Commence ça a avancé etc. Est ce qu'on peut en parler un peu ? 

Guévork
Tu peux mettre en pause une seconde je dois sortir (rires)

Yegan
Vas-y (rires)

(pause)

Yegan
Tu veux que je reprenne ma question, elle était peut-être pas très claire ?

00;16;29;40 - 00;16;55;40Guévork
Si elle était très claire, j'étais en train de réfléchir et je me suis dit qu’il faut que j'aille loin pour être sûr de bien répondre à cette question d'apparence simple mais assez complexe pour moi car même si toutes ces activités semblent êtres distinctes ; intérieurement elles sont complémentaires pour moi et participent à mon désir permanent de créer.

J'estime que je suis quelqu'un qui a trouvé sa voie même si ce n’était pas évident au début. Mais pour la plupart des gens c’est le cas aussi, c'est difficile. Quand, à dix-huit ans, qu’on te demandes de déterminer vers quoi tu veux aller et qu'est-ce que tu veux faire dans ta vie… Pas évident.

Moi, je vais revenir un peu en arrière et je vais te parler de ma volonté de devenir footballeur professionnel parce que ça a impacté tout le reste. Ça a vraiment impacté tout le reste. Premièrement, parce que je travaillais vraiment très très dur pour réaliser ce rêve. Je faisais des entraînements en centre de formation qui étaient très intenses. En plus de ça, je faisais des entraînements moi-même, j'allais courir tous les jours dix kilomètres dans la forêt. J'ai grandi à Minsk non pas directement en ville, mais dans une forêt aux alentours comme une réserve où tu rencontres personnes à part les arbres et les animaux. 

00;18;18;55 - 00;18;51;46
C'était une grande ferme. Du coup, j'ai grandi avec un taureau noir, avec un chien de chasse, avec des lapins, et les arbres. Et ça, c'était mes interlocuteurs premiers. (rires) Entouré par la forêt. Pour peu que j’aille en ville je prenais le bus de 40 minutes et j'allais à mon entraînement. Et après, je revenais. Plus tard, j'ai commencé à travailler avec mon père du coup j'allais au travail, mais sinon, c'était ça le quotidien sans mentionner évidemment toutes les heures ou il fallait apprendre des choses scolaires à la maison exigées par mes parents. Donc, jusqu'à l'âge de seize ans, j’ai vécu cette intensité. Une préparation physique, un mental qui ne doit pas lâcher et tout ça uniquement pour être meilleur dans le sport de haut niveau dont je voulais faire partie.

C'était un grand moteur et c'était un moteur parce que c'était un rêve incroyable, pas seulement pour moi, mais je voyais ça comme une sortie de secours pour ma famille. J'avoue que je me voyais devenir footballeur professionnel et subvenir aux besoins de ma famille pour qu'ils… Parce que je voyais ce qu'ils endurent. Donc j'avais envie de les aider, d'être capable de prendre sur mes épaules le poids qu'ils portent.

00;20;03;17 - 00;20;34;44
Et ça assez, très tôt. Donc c'est pour ça parfois, je dis que je n'ai pas vraiment connu l'adolescence parce que j'avais l'impression, à l'âge de quatorze ans, d'être déjà adulte avec des projets de vie professionnelle bien définis... mais la vie et le destin, veulent autres choses parfois… on reviendra à ça. Je te dirais quelques mots là dessus, mais on a des projets, on veut quelque chose mais l'environnement et la situation imposent d'autres règles. Et là, encore une fois, il faut s'adapter. Et à l'âge de seize ans, seize ans et demi, on avait un match de coupe dont je me souviens plus bien laquelle. C'était un truc important. J’étais en train d’effectuer peut être un de mes meilleurs matches. En fait, j'étais conscient qu'il y avait des gens qui observent etc. C'était le moment ou ça se fait en fait. C'est là ou tu dis je fais bien et après je vais signer un contrat professionnel. Sauf, je me blesse gravement au genou, je n'arrivais pas à marcher, mais je pensais que c'était un truc bénin parce que ça arrive souvent. Mais c'était des ligaments croisés, ménisques et pendant un an, même un peu moins c'est sept mois il fallait récupérer, et tout ça… je pense à cette volonté mentale tellement forte d’aller au bout, que tu pousses tellement ton corps que tu oublies ton corps. C'est ce qui s'est passé, je pense. Au final, malheureusement, à ce moment il n'y avait personne pour me ralentir ou m'arrêter, pour que je fasse attention.

Personne ne disait : « attention, ne te brûle pas. »…  Je fais partie de ces millions et des millions de jeunes garçons et de jeunes filles dans le sport du haut niveau, et puis particulièrement du football qui se brûlent des ailes. C'est très important de faire entendre et savoir ces choses aujourd'hui. Heureusement, ça a changé. Mais moi, j'étais à une époque et dans un endroit où le physique comptait énormément, il fallait être fort et entrainer son corps durement, sauf, le corps a lâché.

Pendant des mois et des mois, je ne pouvais pas m'entraîner. J'avais alors beaucoup plus de temps pour moi. Et j'avais consacré mon temps à la lecture ; lire encore plus ;  je pense que c'est à ce moment que j'ai lu quasiment tous les classiques russes de Dostoïevski et du Tolstoï passant par des écrivains soviétiques jusqu’à le saga Fandorine de l’écrivain plus contemporain Boris Akounine.  J'étais vraiment insatiable, je dévorais les livres presque par colère, mais j'avais tellement d'énergie que je cherchais une stimulation quelque part ailleurs.

Et puis la situation (politique et économique) en Biélorussie n'allait pas très bien. C'était 2005 et il y a eu quelques manifestations d’opposition contre le Lukashenko au pouvoir de plus de 30 ans. Nous nous sommes retrouvés par hasard à proximité d’une des manifestations. Mon père a été pris pour des raisons complètement anodines et juste par malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais cet élément a déclenché le fait que nous avons décidé de fuir ce pays.

Enfait, là bas entre le racket et l’ordre tu te fais juste presser comme un citron de tous côtés et à un moment donné rien ne reste si tu ne t'échappes pas. Ma famille a assuré réunir des fonds familiaux et on a fuit la Biélorussie en se retrouvant en France. C'est comme ça que je suis arrivé à dix sept ans en France.

C'était une expérience assez forte et qui forge. Je pense en deux trois jours de trajet, le temps qu’a duré ma traversée d’Europe, je suis devenu encore plus adulte que j’en pensais l’être. Pour tout dire, c'était un matin, très tôt, je suis arrivé à la gare du Nord qu'aujourd'hui je connais très bien mais à l'époque, c'était un autre monde (rires). Quand je te dis un autre monde, c'est comme on me lance sur planète Mars et autour de moi des martiens, qui parle le martien.

Yegan
C'est inhospitalier au possible, en plus de débarquer à la gare du Nord comme ça. 

Guévork
à 5 h du matin oui.

00;26;39;07 - 00;27;32;06
Donc c'est une expérience assez assez forte. Et puis tout le processus qu'il y a en France, malgré qu'on peut critiquer cet appareil d'accueil, la manière dont il fonctionne, en règle générale, c'est assez performant quelque part, parce que j'ai été bien accueilli, j'ai été envoyé à Nantes, fait retrouvaille plus tard avec ma sœur et ma mère. Je remercie les personnes qui étaient très impliquées. Dans les premiers mois, je sais pas is c’est toujours le cas, mais tu passes un test en tant que demandeur d’asile mineur dans ta langue d'éducation. Des tests pour établir ton niveau. Une sorte d’évaluation de compétences.  

On veut voir ta compréhension orale et écrite. J'ai passé des tests de maths, je passais ensuite des tests en physique, des choses de culture générale ou t'as pas besoin vraiment d’utiliser la langue française. Et il s'est avéré que j'ai eu de très bons résultats. A ce moment-là, j'avais dix-sept ans, pour la plupart, des enfants mineurs à ce moment-là qui viennent le plus souvent statistiquement les résultats ne sont pas très élevés et on les encouragent emprunter une voie professionnalisant. Moi, on m’a dit que je devais faire des études même si moi, je pensais toujours faire du foot… (rires)

00;28;14;17 - 00;28;37;52
Heureusement quelques personnes ont vu que j'ai des capacités d'études, des capacités de compréhension, de logique et mes résultats étaient excellents en maths, donc il y avait un esprit un peu scientifique, que j'ai toujours eu. J'ai aimé cette expérience, j'étais très curieux. Mon père et ma mère sont fondamentaux là-dessus, je veux dire pour ces connaissances.

Et c'était courant mars donc pour intégrer le lycée en septembre. Après il fallait beaucoup travailler en langues, au moins connaître les bases. Je ne peux pas dire que j’y suis arrivé, mais j'ai énormément travaillé. J’ai été intégré dans un collège, on était à Châteaubriant, pas loin de Nantes, entre Nantes et Rennes, dans une petite ville, et quand t’es dans une petite ville, l'accueil est encore plus chaleureux je trouve... Je trouve qu'il y avait des gens très ouverts. J'ai rencontré de très, très belles personnes, donc je garde ça en mémoire toujours. Et ces personnes là, ils m'ont beaucoup aidé, énormément. Je reste très reconnaissant.

D’ailleurs au lycée, ma prof de français que j’ai eu est toujours une amie proche, Marie est une des mes coassociés aux éditions Aivazian que j'ai créé il y a maintenant deux ans et demi. 

Donc pour te dire, les liens étaient forts. Et puis voilà, j'ai eu mon BAC S. Pour moi, c'était quelque chose sans grande importance car je ne la comprenais pas. Mon intégration continuait et ma langue française évoluait, je savais que j’ai encore beaucoup à faire… Mais je me souviens la réaction des amis et toutes personnes qui m’entouraient et me soutenaient et j’ai su les années plus tard que c’était important.

00;30;04;58 - 00;30;43;18
Et que faire après ? Oui, que faire après ? Et j'avais toujours cette idée-là d’aider la famille, de prendre une voie qui me permettrait de gagner bien ma vie. Pour subvenir aux besoins de tout le monde, et le choix numéro un, puisque ma mère, elle rêvait que je devienne médecin, du coup un de mes choix post-bac, c'était la fac de médecine.

Yegan
(rires) Un peu comme tous les parents à l’Est du monde.

00;30;49;21 - 00;31;22;59 — Guévork
C’est ça, mais moi, j'avais des amis du lycée qui étaient à la fac de médecine, j'ai fait deux ou trois jours en fac de médecine, je me suis renseigné et j'ai compris que ça m'intéresse énormément, l’anatomie et tout ça, mais purement personnellement d’un point de vue esthétique, par curiosité mais pas pour en faire mon métier. L'architecture m'intéressait beaucoup, mais il y avait des critères assez difficiles pour pouvoir y entrer ; la langue française était un des critères qu'il fallait bien maîtriser. À l'époque, mon français était faible - j'ai eu mon bac grâce à des sciences et des langues et aussi les arts plastiques.

Et à ce moment-là, je me suis dit que je ne suis pas prêt. Je ne suis pas prêt pour prendre une voie principale. Il faut, en attendant que je fasse une voie parallèle. C'était un peu dans ma tête comme ça.

Donc je me suis inscrit à la Sorbonne, à Paris. J'étais parti pour faire des études de littérature russe. C'était purement tactique de ma part. A ce moment là, je me disais que pendant que les autres vont apprendre le russe et des choses que je connais déjà, moi je vais consacrer mon temps à apprendre le français. Et c’est ce que j’ai fait.

Et à un moment donné je me suis dit peut-être c'est le moment, c'est le moment de changer parce que je ne voyais pas la suite de ces études-là. Soit j'allais devenir prof de russe, soit devenir traducteur. C'est des choses qui, à l'époque, m’intéressaient pas.

00;34;19;14 - 00;34;49;41
Ce n'est pas le cas aujourd'hui. J'ai en effet reconsidéré des choses, mais à l'époque, quand on est jeune, tout est possible et on va aller plus loin possible. J'avais toujours cette énergie d'aller encore plus loin et satisfaire mes aspirations et ambitions, car je pense qu'il faut avoir beaucoup d'ambition aussi, quand tu te sens comme ça - un moteur, une locomotive, si tu veux prendre ce rôle-là, ce n’est pas possible sans certaine dose d’ambition.

00;34;50;11 - 00;35;22;36
Donc il fallait aller plus loin et c'est comme ça que je me suis réorienté vers le droit.

00;35;22;49 - 00;35;46;20
Ce formatage n'était pas si facile que ça parce que, au fond, je me sentais toujours libre et j'avais toujours cette résistance sur toute forme de formatage, dans tous les domaines, et c'est toujours le cas d’ailleurs. Donc je sais faire parfois ce profil bas et j'apprends, j'intègre et tout ça, mais au fond, je fais ma mission, mais je sais que ça ne touche pas mon fond, à l'intérieur, une espèce de force, de liberté, une voix m’appelle vers autre chose. Je ne sais pas comment c’est stimulé, mais c'est toujours le cas.

Donc voilà pour tous ces parcours-là. Et au fil du temps, l'art était toujours présent en moi et grâce en grande partie à mon père qui à la base est ingénieur, mais qui a fait aussi des études de Beaux-Arts à Moscou, en graphisme et sculpture, qui, très tôt nous a enseigné à dessiner à moi et ma sœur, et nous a donné le goût des arts.

Pour petite anecdote, pendant que je voulais me réorientais j'avais fait une tentative d'inscription aux Beaux-Arts. C'est très curieux. Je suis allée, je faisais des peintures, toujours des dessins, et je me souviens très bien. J'ai un ami de lycée, Salim, et un autre ami proche aujourd'hui, Maxime, qui est un autre co-associé aux éditions Aïvazian, l’un qui a stocké mes toiles sur Paris, et l'autre qui m'a aidé à ramener toutes ces toiles-là le jour des concours aux Beaux-Arts. Et en fait, c'était pas un problème de truc ; il manquait un papier, un certificat je ne sais pas que je n'avais pas encore reçu de l'administration universitaire et on m'a refusé le passage au concours pour pouvoir passer la première étape pour une question administrative.

00;37;32;03 - 00;37;57;37
Et malgré mon côté de l’Est, Arménien, des négociations, “je vais ramener tout ça, laissez-moi juste montrer mon travail et expliquer ma vision d'art et ce que j'ai en moi”, malgré toutes ces tentatives, la dame qui était face à moi impassible, elle était catégorique. Elle m’a juste pas laissé. Je me souviens très bien, j'ai pris mes toiles et je suis arrivé devant elle juste avant de partir, tellement en colère, j’ai écrit mon nom devant ses yeux et j’ai dit “mémorisez ce nom” et je suis parti avec une telle colère, une grande déception parce que j'avais l'impression qu'il fallait que je passe ce concours. Et quand ça ne s'est pas fait, une fois calme, je me suis dit c'est pas pour moi en fait l'art … Je suis retourné vers le droit…

Yegan 
… vers l’administration (rires)

00;38;25;49 - 00;38;46;43 — Guévork
(rires) Haha oui, il faut changer de chose. Et c'est comme ça que je me suis retrouvé à faire du droit en effet. C’était juste une journée comme ça et je me souviens très bien de ce moment-là, quand j'étais aux Beaux-Arts et quand je suis ressorti avec toutes mes toiles, en colère…

Yegan
Donc t’avais déjà un peu, même à l'époque du foot, quand j'étais ado, etc. une fibre artistique, un contact avec ce côté-là.

00;38;47;11 - 00;39;14;01Guévork
Toujours. J'ai toujours dessiné. J'aimais toujours lire sur les biographies d'artistes, l’histoire de l'art m'intéressait beaucoup. J'ai eu la chance. A l'époque, j'étais très amoureux d'une fille, premier amour. Elle était installée à Saint-Pétersbourg. Une fois j'ai fuit la maison, j'ai pris un train, j'avais 15 $ dans ma poche, je me souviens, et je suis parti de la voir.

Yegan
A Saint-Pétersbourg ? (rires)

Guévork
Oui ! 

Yegan
En partant de France ou de Biélorussie ?

00;39;39;44 - 00;40;01;44Guévork
Biélorussie, à l'époque, j'étais encore, j'avais quinze ans, un truc comme ça. Mes parents étaient assez libres et me faisaient confiance à moi tant que je disais où je suis et quand je rentre. C'est comme ça que je suis resté deux jours à St-Petersbourg.

(rires)

00;40;08;32 - 00;40;29;56
Pour la première fois au musée de l'Ermitage j’ai découvert Picasso, Matisse et Kandinsky mais aussi toutes ces belles pièces archéologiques qu’il y a dans ce musée, l’un des plus grands musées du monde. Et c'était mon premier grand choc artistique, culturel parce que jusque-là, mon père, un grand admirateur de la renaissance et du baroque, qui m'a enseigné le travail de Raphaël et de Rubens, n'a jamais franchi ce XIXᵉ siècle.

00;41;18;21 - 00;41;47;44
Je ne connaissais rien de cet art-là, donc moi j'ai vécu ce choc-là en voyant Picasso, Matisse, etc. Ces couleurs éclatantes, ces formes, ça m’a laissé une impression telle que je suis passé en deux jours, 16h dans ce musée-là. D’ailleurs je n’avais pas d'argent pour rentrer alors je suis passé avec une petite classe, comme si je faisais partie de cette classe d’une école et après on s’est séparé ! (rires)

L’art, au fond, était toujours présent dans mon cœur de cette manière-là et je pense quelque part, inconsciemment, avec le temps, j'étais un peu influencé par la biographie de Kandinsky qui était un magistrat qui a fait des études de droit, etc. mais qui se tourna vers l'art et a consacré sa vie à ça.

00;42;24;30 - 00;43;01;27
Et quelque part, quand je suis allé vers l'art, je pense inconsciemment je voulais reproduire ce schéma-là. Son art me parlait et sa personne me parlait que je me retrouvais dans ce personnage. 

00;43;01;38 - 00;43;31;00Yegan
Donc si je résume on a la partie artistique, on a la partie cartésienne, on a la partie juriste, cependant on a pas encore la partie édition. Comment tu es arrivé au livre, au magazine, c’est venu d’où ce truc-là ?

00;44;01;08 - 00;44;36;39Guévork
Je pense comme toi aujourd'hui. Je t'ai entendu une fois dire que ça vient de l'amour d'enfance pour le livre, pour l’objet. Le livre, c'était pour moi… Je voyageais beaucoup de stade en stade, et les camarades que j'avais avaient d'autres préoccupations d’adolescents.  Moi, je lisais beaucoup, je ne lisais pas à l'école donc j’avais pas de devoirs. Mais ma mère imposait certaines choses, des classiques, Guerre et Paix, etc. ce genre de choses-là. Donc je le faisais par respect pour cette demande-là mais aussi par amour de lecture... Et le livre, c'était comme l’art ; si l’art quelque part m’a été transmis par mon père, je dirais que l'amour pour le livre m’a été transmis par ma mère. Donc c'était pareil, toujours présent. J'étais toujours curieux. Et puis c’était une occasion incroyable de rencontrer des gens qui ne sont plus là et de discuter et trouver tellement de points communs avec eux. Et certains auteurs étaient et sont mes meilleurs amis. Certains livres sont des livres qui m'accompagne toujours.

00;44;37;07 - 00;44;47;21
Marc-Aurèle, Pensées pour soi-même, que j’ai commencé à lire dès l'âge de treize ans, est devenu pour moi une sorte de père spirituel. C’est un livre que dont je relis les passages régulièrement. 

Grâce à lui, j'ai commencé beaucoup à lire sur les stoïciens. À l’époque, dans la vie dot le quotidien est un peu rude, c'était d'une aide considérable. Et petit à petit, comme ça, au fil des études, quand on fait des études de littérature, puis des études de droit, c'est des études en sciences humaines où on doit lire beaucoup. Donc le livre est présent fortement.

00;45;20;10 - 00;45;46;43
On écrit, évidemment, on rédige des choses, mais on emmagasine. Étudiant, si on cherche la définition de l'étudiant, ce n'est pas faire la fête, profiter de cette liberté de faire n’importe quoi - certes, elle existe, mais strictement la définition d’étudiant c'est étudier, le but c’est d’emmagasiner. Ce n'est pas enseignant, tu n’es pas là pour sortir des choses, tu te rends compte que tu dois être une éponge. Et à partir de ce moment-là, je pense aussi parce que j’étais un peu solitaire, j'étais toujours entouré de livres, je voulais en apprendre. Ça toujours été ma plus grande dépense, les livres. Surtout de beaux-livres.

00;46;21;50 - 00;46;42;10Yegan
J’avais un peu la même chose, mes parents n'étaient pas très cadeau, mais toute mon enfance et même encore aujourd'hui, à mes 30 ans, ma mère m'a offert un livre. Depuis que je suis enfant ça a toujours été “si tu veux des cadeaux ça va être des livres”. Je n'avais pas le droit de demander, par exemple, même à la caisse au supermarché des bonbons, jamais, jamais, mais si je voulais un livre à n'importe quel moment j’avais le droit de l’avoir. Mes parents me disaient “pour le livre on ne compte pas”. Je pense que c’est plutôt pas mal de grandir comme ça. 

Et Guerre et Paix à treize ans aussi c’est vraiment pas mal. Marc-Aurèle aussi, c’était comment ?

00;47;06;45 - 00;47;41;20Guévork
Au départ tu comprends pas, tu lis des mots… Tu…

Yegan 
Si je pense que tu comprends un peu, tu apprends à comprendre en tout cas, 

Guévork
Oui c’est ça, on se familiarise. Certaines lectures étaient abstraites, d'autres, avaient un impact direct, tu comprenais très vite de quoi il s'agit. Et puis j'ai une grande admiration pour Marc-Aurèle. C'était une personne solitaire dans son monde intérieur et pour la première fois dans l'histoire on retrouvait au sommet d'un des plus grands empires - un philosophe. Du coup, pour moi, c'était assez incroyable dans un seul et unique personne, tu avais le pouvoir exécutif et le pouvoir de guerre parce qu'il a passé 28 ans en guerre – c'est lui qui a élargi le plus l'Empire romain - mais également un philosophe. En fait j’ai de grande admiration pour lui. Cette réflexion philosophique et qui est destinée uniquement à soi m'a beaucoup frappée et qui ce me frappe et que j’admire c’est que ce n'était pas destiné à être lu, c'était des pensées pour soi-même, c'était comme des dogmes, des maximes.

00;48;16;27 - 00;48;40;14
D’ailleurs je pense qu'on est quelque part pareil. J'ai toujours eu des carnets, on écrit des choses pour soi-même. J'écrivais des poèmes, des textes, juste des faits, des dessins, d’innombrables cahiers que j’ai. Tout ça, ce sont des miroirs de moi-même à ce moment-là. Et en relisant, je comprends qui je suis. J’apprends sur moi-même. 

00;48;40;30 - 00;49;18;04
Et ça, ça m'a permis d’améliorer des points, de comprendre qui je suis. Même s’il y a des points ou on a vécu et en fait, tu apprends par la pratique de la vie certes, mais il y a des choses qu'on apprend de soi-même théoriquement comme ça. Et cette auto éducation, je pense est la plus grande partie d'un être humain dans l'éducation d'être. Et ça se fait par des écrivains, poètes, artistes, historiens, sociologues, psychologues, à travers des livres. Quand tu ne te bornes pas à quelque chose, tu dis oui, pourquoi pas ? Je vais lire, emmagasiner et après faire mes propres choix. 

00;49;18;27 - 00;49;54;09Yegan
Et assez tôt, tu t'es dit artiste ?

Guévork
Non, il y avait un appel en moi intérieur. C'est difficile de se dire artiste. 

Yegan
C’est pour ça que je te pose la question

00;49;54;09 - 00;50;16;59Guévork
Il faut définir quelle est ta définition d'artiste. Qu'est ce que c'est d’être artiste ? 

Yegan
Surtout là, on parle de choses ici où tu fais plein de choses, tu passes par des chemins non-conventionnels, bla bla bla. C'est d'autant plus particulier.

00;50;16;59 - 00;50;32;38Guévork
Pour moi plutôt l'art que le métier d'artiste. Au bout du compte, pourquoi je me suis tourné vers ça. D'une part, c'était quelque chose de naturel, une sensibilité, une sensibilité accumulée qui avait besoin de s'échapper quelque part, se matérialiser un peu plus, elle ne pouvait plus rester en moi, d'une part. D'autre part, il faut trouver un espace pour ça.

00;50;34;51 - 00;51;41;05
On peut être créatif dans plein de domaines et dans tous les métiers, je pense. Et on est, je pense, de base comme être humain. Mais pour exprimer pleinement et surtout librement, pour moi, il y avait une seule et unique voie, c'était l'art qui permettait de créer une narration, réinterpréter des choses, matérialiser des réflexions de manière libre et d'un point de vue qui est le tient ce que je pense, et c'est la raison principale pourquoi aujourd'hui, je consacre quasiment la plus grande partie de mon activité à l’art et que j'espère accroître davantage c’est la liberté, une liberté d'espace, d'expression. 

00;51;41;56 - 00;52;16;56Yegan
Passons à l'art, justement. Et ta pratique qui, quand je l'ai découverte… Alors on va commencer par là, par ce que je connais en fait, même si je ne pense pas que ça sera peut-être le bon moyen d'y arriver mais commençons par ça ; quand j'ai découvert ta pratique, j'ai découvert d'abord les dessins, il y avait beaucoup de dessins dans des petits formats.

Puis je l'ai vu faire de la peinture, faire des portraits plus grands, de taille plus importante, des toiles. Après je t'ai vu travailler beaucoup la répétition. Et à l'époque, je trouvais que tu avais une manière très intéressante de t’imprégner, de regarder et de dupliquer à ta manière. Ce que je trouve très bon en fait, c'est quelque chose que je fais très souvent. Typiquement dans cette répétition-là il y avait Fan* aussi à la même période au Lavoir, mais je t'ai vu à un moment donné repartir sur des trucs de répétition, questionner ce procédé. C'est comme ça que je l'avais interprétée à l'époque, mais je t'avais vu utiliser cette répétition dans ton travail, ce côté très machinal de la chose.Très “coup de marteau”, être très productif, plein de dessins, plein de dessins, plein de dessins, et du coup maintenant, cette nouvelle série-là, très verdoyante, de peinture, qui me rappelle pas mal aussi le travail d’Alex - je ne sais pas si c'est influencé, si tu discutes avec lui - même si c’est complètement différent, mais en terme de représentation de la nature, omniprésence du vert, et le fait de montrer quelque chose sans le montrer totalement, moi ça c’est le fil conducteur que j’ai de ta pratique.

— 00;53;35;16 - 00;54;02;14
Mais toi, comment est-ce que tu te définirais au regard de ce que je te dis, et après en général à ta manière toi ?

00;54;02;14 - 00;54;35;32Guévork
Moi, je dirais que je pense que chacun dans l'art a un temps de maturation. Certains ont la chance de faire des écoles, d'autres non, ou peut-être ils ont la chance de ne pas le faire aussi. Et au moment où on s’est rencontré au Lavoir, moi c'était mes premiers pas en fait de dire” je vais faire ça” et m'investir davantage dedans. 

00;54;35;36 - 00;55;12;38Yegan
Comme moi avec la photo finalement

Guévork
Et le Lavoir c'était pour moi clairement un endroit de formation, une sorte d'école.

Yegan 
Une école.

Guévork
Oui, avec tant de gens riches, tant par leurs capacités que par leur personnalité, par les compétences, c'était juste incroyable d'être là à côtoyer tous ces gens-là. Donc, je pense, de manière globale étant dans cette atmosphère, il y a eu des inter-influences. Et moi, je suis arrivé comme une éponge et je voyais plein de gens formidables.

00;55;12;39 - 00;55;31;32Yegan
Je me permets, je te dis ça si ça te rassure, moi je suis la plus grosse des éponges. (rires) C'est mon principe de travail, d'apprendre pour comprendre.

Guévork 
Complètement, il y avait des gens qui avaient des buts précis, ils savaient très bien où ils vont, et ce qu'ils font. Comme notre ami Alex (note : Alexandre Lenoir, résident au Lavoir de 2016 à 2018) qui dès le départ, ils savaient ce qu'il veut faire.

00;55;31;32 - 00;56;10;05
Et j'admire tellement son travail. Mais il y avait tant d'autres personnes avec qui j'ai collaborées, Vincenzo pour faire des meubles, avec Maya Virginie et Fan, on a même créé un groupe artistique – Think Now. On a même fait des expos ensemble, des performances. Charlotte Bovy, avec qui je me suis retrouvée par hasard voisin de bureau, avec qui on a échangé des photos, des collages, des textes, avec qui je collabore jusqu’à maintenant, on est en train de faire un livre d’artiste. Sauvage, avec toi, tous ces gars qui viennent de la musique…

Yegan
Tout ce bordel… 

00;56;50;00 - 00;57;24;03Guévork
Incroyable. Toi, la photo, Amine, l’architecture, Marin avec cette force d'idée, de passer à l'action, je me suis retrouvée dans un endroit et encore, à l'époque, je venais que partiellement, je n'étais pas full time tout le temps au Lavoir. Et avec le peu de temps que j'avais là, encore une fois, je suis venue avec une idée bien précise ce que je veux faire, je voulais faire des peintures, des grands formats, c'est à dire élargir mon spectre, de passer de dessins de petits formats, avoir un espace plus grand pour pouvoir se réaliser et réaliser des idées que j'avais à l’époque.  Et encore une fois, je me suis dit - de manière, je dirais plutôt inconsciente que consciente -  qu'il y a une chance ici d’essayer de faire plein de choses et apprendre auprès des autres. Et c'est comme ça que je vois cette période-là. Tu as décrit au début : un temps de formation de tout essayer et dans tous les domaines sans limite.

00;57;35;39 - 00;57;54;35
Artistique, mais aussi entrepreneuriale, cette expérience qu’on a fait ensemble. Il fallait le faire, c'était le moment, il fallait le faire.

00;57;56;50 - 00;58;30;01Yegan
On a appris énormément.

*Note : Hongchuan Fan, artiste chinois résident au Lavoir en 2017

Guévork
Je ne regrette jamais ce choix-là. Peu importe comment ça s’est terminé. Mais tous ces choix-là - petite parenthèse je suis une personne qui ne regrette rien dans la vie - donc c'est tout ces choix qui forgent la personne qui suis-je aujourd'hui, dans le présent. Et aujourd'hui, maintenant, je suis à Amsterdam tu me visites à mon atelier où je fais une pratique, une série de peinture. Et ça, ça, il faut dire quelque chose à part parce que, un travail en série, tu as bien remarqué que j'ai cette idée de répétition, ça vient de mon travail, de ma mentalité de travail.

Je pense que si on peut aboutir à quelque chose ou satisfaire nos ambitions, c'est uniquement par le travail. Il faut travailler vraiment très, très dur.

00;58;47;35 - 00;59;15;51
Et ça, on ne peut pas être satisfait rapidement. C'est aussi de se prouver à soi-même. Quand tu fais un dessin, quand tu fais une peinture et je continue un peu comme ça, même aujourd'hui, quand je fais une toile qui est réussie, j'ai envie de faire une autre pour me prouver que ce n’était pas par chance, une inspiration incroyable ou autre chose mais c’est arrivé par le travail. 

C'est aussi pousser ses limites. En fait, je vais faire tac tac, tic tac tac jusqu'à où je peux aller. Et au bout d'une vingtaine de pièces, tu vas dire : “en fait, je suis capable, en fait, ma série est cohérente, elle est logique, les toiles ont une même force et surtout, l'ensemble représente une idée forte que j'avais dès le départ.

00;59;45;13 - 01;00;13;04
C'est comme des membres d’un même corps, et c'est ça qui fait marcher tout cet écosystème de l'idée que tu as du concept que tu as dès le départ. Donc je continue à avoir cette approche-là, une approche à partir d'un projet d’abord écrit, décrit ou dessiné.  Aujourd'hui je fais de la peinture à l’huile, encore une fois, quelque chose un peu imposé par des circonstances, des circonstances où on était dans une période de pandémie, enfermés, avec des moyens limités. J'ai beaucoup d'idées d'installations, qui viennent de lectures. Mais le reste, ce n'est pas le moyen d’y parvenir qui compte. Pour moi, ce n'est pas la technique. Si je fais aujourd'hui de la peinture à l'huile en grand format, ça veut dire pas que c'est quelque chose que je vais continuer à faire tout le temps.

 01;00;49;20 - 01;01;22;40
C'est l'idée, qui compte pour moi. Et après, une fois que j'ai l'idée quelque part, aboutie, mature, je me demande quels sont les moyens de la réaliser ? Et à ce moment là, il y a un an et demi, quand j'ai commencé cette série là, je me suis dit : “le plus facile, c'est de trouver un endroit ou je peux pratiquer une peinture à l'huile pour des questions pratiques et aussi financièrement valide et pour que ça tienne la route.

Donc c'était assez naturel de se tourner vers ce médium-là.

01;01;31;14 - 01;02;09;31
Pour revenir plus précisément pour parler de cette série-là…

Yegan
Oui raconte un peu d’où ça vient ce boulot-là ?

Guévork
Nous sommes cette génération qui a connu un peu le monde à l'ancienne et qui est en plein dedans dans son monde digital, numérique. Dans les futures générations des enfants d'aujourd'hui qui grandissent, ils ne pourront pas réellement, n'auront pas le contact direct avec ce qui était avant et ce monde qui change, on est ce pont-là. L'art pour moi, c'est le moyen d'exprimer ça.

L'art, c'est la plateforme sur laquelle je mets cette responsabilité là et j'assume cette responsabilité-là. Et aujourd'hui, c'est dans ce travail là qui s'intitule (Dé)forestation, je travaille sur des images de forêts en voie de disparition ou disparues, des forêts que je peins, ce sont des forêts artificielles et certaines forêts primaires et subissent un tel impact de l'activité humaine qu’elles n(ont pas le temps de s’adapter comme c’était avant. Elles disparaissent.

 Aujourd'hui, tel que comment ça évolue, les futures générations peut-être n'auront pas l'occasion de les voir en vrai. C'est pour moi un moyen d'immortaliser des images pour des générations futures quelque part. Comme créer des souvenirs de futur. (rires) C'est faire face à ça. Et dire que peut être aujourd'hui je peins des forêts à partir de photos, soit des amis, soit des photos que je retrouve, soit je compose complètement à partir des images d'archives des forêts mais aussi à partir de dessins et aquarelles. Depuis trois ans, il y a une des toiles que je peins c'est autour de l'Amazonie, cet endroit n'existe plus. Qui a été complètement détruit pour la terre qu'on en a besoin exploité pour notre industrie et pour notre consommation, qu'on a besoin plus de champs de blé pour nourrir le bétail, pour manger plus de viande alors qu'on est déjà en surproduction.

01;06;04;41 - 01;06;45;37
C'est à travers cette image, ces images-là, ces peintures-là, le fond est là. C'est une forme de dénonciation. Mais à la différence des artistes que j'aime beaucoup et que j'admire pour leur courage, qui sont des artistes - des artistes activistes, militants qui vont dans leur travail directement créer une réaction objective, moi, par mon côté, par la sensibilité et par l'amour de la poésie, par mon être contemplatif… - (N.B. parce que si je ne fais pas tant de production, si je ne fais pas toutes ces activités que je fais, si je remplis pas jusqu'à la dernière minute mes journées, je suis un être qui peut rapidement tomber dans la mélancolie et dans la contemplation, un peu comme Tarkovsky tel qu’il se décrit dans son livre Temps scellé)  Et dans une action, je peux rester des heures et des heures contempler des choses, réfléchir, écrire et je peux, si je me fais pas un électrochoc de travail, par le travail parce qu'il faut faire, rentrer dedans, je peux rester toute une vie à contempler la vie, la nature et des choses qui se passent, dans l'observation, rester dans l'observation. Et ça, c'est l'équilibre que je trouve aujourd'hui. A la fois, je consacre un grand temps de préparation pour ces peintures là, je pense, et pour des projets que j'ai pour le futur.

01;07;49;10 - 01;08;17;08
Il y a un grand travail de préparation, de préparation intellectuelle, de recherche. Je garde toujours ce côté un peu académique, universitaire et chaque fois que j'écris quasiment des mini-mémoires pour moi même avant de voir quel axe quel angle je vais attaquer et la manière dont je vais présenter des choses. Et finalement, je pense quelque part, je cherche à atteindre l'inconscient des gens et pas la conscience. Leur côté sensible et émotionnel. 

01;08;18;04 - 01;08;52;28
Parce que la conscience est quelque part, elle est entachée par la société, par les habitudes, les coutumes, par le mode de consommation. Mais quelque chose d’universelle de l’être humain, sensible, qui reste vivant en nous, oubliée au fond de nous peut être réveillée par l'inconscient par un choc, quelque chose, un choc qui est d'ordre émotionnel, sensible également. 

01;08;53;31 - 01;09;17;15
Et je ne sais pas si j'y arrive avec ces toiles là, mais je cherche une forme de beauté, une forme de poésie. C'est pour ça qu'elles sont verdoyantes, ces peintures-là, c'est pour ça elles sont, c'est une forme de paradis. On a tant hérité par nos religions monothéistes, “le meilleur, c'est après”.

01;09;17;16 - 01;09;50;01
D'autres courants politiques ou philosophiques vont dire que le meilleur, c'était avant. Si tu écoutes les vieux ils te diront souvent “avant c’était mieux”. Toutes ces réflexions-là, elles m’ont toujours interrogé et je pense que il n'y a pas meilleur ou mauvais. Il a juste le présent qui nous appartient et c'est la seule chose qui nous appartienne. Le reste, c'est juste de l'illusion et une perte de temps pour peu de temps qu'on a à vivre. 

Donc c'est ce temps présent que je vise, quelque part dans la relation de mon travail avec les gens. Ce que je fais évidemment c’est pour montrer au plus grand nombre, plus tard. 

01;10;14;46 - 01;10;44;55Yegan
Et qu'est ce que tu vois pour ce travail ? Est ce que tu as déjà commencé à la présenter, à le confronter ?

Guévork 
J'ai des choses à partager, mais je pense que je suis encore loin, loin, à moyen terme, je dirais que quelque part dans ma production ; j'ai une quinzaine de toiles. Je pense qu'il faudrait encore au minimum autant pour pouvoir dire voilà mon projet de départ, le premier volet de ce projet là peut être montré, exposé comme un vrai projet.

01;12;14;36 - 01;12;42;47Yegan
Comment tu vois dans ta pratique de manière générale, dans vingt ans ?

01;12;43;28 - 01;13;14;08Guévork
Comme tu as compris, j'ai souvent des idées bien précises, je prépare des choses et je vais vers ça. Mais en même temps, je m'adapte. Je suis très à l'écoute de ce qui se passe dans le présent. Et notamment au cours de la pratique elle même, en l’occurrence des peintures. Souvent elles me guident lors de leur réalisation.

 Par exemple, quand j'ai commencé ces toiles là, moi je vois l'évolution de ma patte, c'est quelque part, si au début, je pensais être capable de faire la peinture, donc aller vers ça quelque part, faire mes couleurs, monter des châssis, créer complètement ma préparation des toiles, acheter des toiles brutes, de préparer moi même, tout mettre sur les châssis, etc. etc. tout ce qui fait un schéma bien réfléchi d'une préparation. Et finalement, après, quand je commence à faire de la peinture, au moment de la peinture, je ne réfléchis plus. C'est une forme, ça va de soi. Je rentre dans un espace de transe et je continue à faire ces taches de couleurs et que je continue etc.

01;13;49;59 - 01;14;23;40
Et au fil du temps, d'une toile à l'autre, je constate qu’en fait, elle devient plus intéressante, la patte, quand j'examine après. Et si avant commencer cette série là, pour moi, c'était un temps délimité : tant de toiles, faire ce projet, etc. Une fois que c'est fini, je passe à autre chose… Aujourd'hui, je vois de plus en plus que quelque part je peux, un tout petit peu à l'échelle très modeste, me considérer comme peintre, d'être peintre. Du coup, je pense cette activité - qui me plaît, je pense à travers ce médium, - et ça, c'est, je pense, ça va rester. J'ai l'impression, j'ai le sentiment, j’ai une intuition, je ne peux pas te dire de manière raisonnée “je vais faire de la peinture toute ma vie”, je n’en ai aucune idée.

01;14;51;56 - 01;15;27;40
Mais ce que je fais aujourd'hui, c'est quelque chose que j'arrive à exprimer dans un équilibre quasi parfait, mais qui n'est pas équilibré. Ça va vers ça. Je sens une idée très raisonnée, et une pratique par ce médium-là, complètement, je sais pas si émotionnel c’est le mot, mais sensible. C'est une belle réunion qui tient la route et ses deux jambes elles marchent. Et aujourd'hui, je vois que ça marche. Je me sens debout. Si je ne suis pas déséquilibré, je ne tombe pas, je ne vais pas faire des trucs, etc ailleurs. Je suis bien concentré sur ce projet là.

Je souhaiterai continuer sur ce sujet-là, déforestation et de manière générale le changement climatique et toutes ces questions environnementales qui me tiennent très à cœur. On a  tellement de choses à dire, beaucoup de travail à faire là-dessus.

01;16;05;58 - 01;16;25;16
Et en tant qu'artiste, on a cette responsabilité-là. Pas tous, en tout cas, chacun se donne les objectifs qu'il veut. Mais moi, c'est un des plus grands objectifs de ce travail artistique. 

01;16;27;33 - 01;16;58;53
En tout cas ici et maintenant, c'est ce que je peux te dire aujourd'hui. On se retrouvera dans dix ans, vingt ans  je te dirais peut-être complètement autre chose! 

Yegan
Toute dernière question très rapide pour conclure rapidement avant qu'on fasse quelque quelques dernières photos Est ce que tu aurais trois références, de manière générale, soit fruit de quelque chose qui t’a marqué, soit dans le passé ou qui est fondateur en soi, soit en ce moment quelque chose qui te parle énormément ?

Trois références à donner à un ami.

01;17;37;56 - 01;18;41;24Guévork
Je dis à tous mes amis de lire Marc-Aurèle, de manière répétitive et hasardeuse. N'importe quel moment, n'importe quelle page, juste une demi-page ou une phrase et méditer là-dessus. UN.

Je ne sais pas pourquoi, mais la vie de certains artistes, de plusieurs artistes quelque part, ils ont le même type de chemin mais je ne vais pas être très original, mais la vie de Léonard de Vinci. Pas l'œuvre mais la vie. C'est quelque chose qui m'a marqué… un peu, au même titre, la vie de Jésus. DEUX.

01;19;09;00 - 01;19;35;49  — Yegan
Ils se ressemblent un peu en plus. (rires)

Guévork 
Ce n'est pas le même destin, ni rien. Je ne veux pas les mettre dans le même espace, pas du tout, je ne sais pas quel lien ils ont, peut-être cette solitude intérieure quelque part. Et ça, je dirais un peu plusieurs artistes. C'est ce monde intérieur des artistes qui m’ont marqué et des personnalités fortes.

01;19;37;25 - 01;20;06;29
Et pareil. Jésus parle quand je dis ça, ce n’est pas d'un point de vue religieux. Donc si on prend juste celui d’un simple humain, imagine qu’il existait, la souffrance qu'il a eu, si on en croit les textes. Et c'est d'ailleurs une des séries sur laquelle je travaille, parallèlement à celle-là, c'est la vie de Jésus. Je te montrerai la première toile. 

C’est une toile que je montre rarement, qui s’appelle l’Annonciation. Je reprends les mêmes grands titres des grandes toiles, mais je retrace, j'ai envie de retracer la vie de Jésus avant sa naissance et jusqu'à sa mort. 

01;20;30;43 - 01;21;06;29
Et si je pouvais te donner une troisième référence, c'est très difficile. Mais aujourd'hui, quand on parle d’aujourd'hui et quelque chose on ne peut pas négliger ce qui se passe en ce moment en Ukraine et la guerre en Ukraine et en Russie, etc. Je dirais que de manière globale, la littérature russe, et plus précisément de Gogol du côté ukrainien, pour comprendre ce folklore et l’identité ukrainienne dont on dit qu’elle n’existe pas et il suffit juste de lire certains livres de Gogol.

Et là, je dirais même presque à tous les Russes qui disent que l'Ukraine et les Ukrainiens n'existent pas et qui considèrent Gogol comme un écrivain russe devraient le relire peut-être. Et en ce moment, je relis Crime et Châtiment de Dostoïevski. C'est quelque chose que j'ai lu jeune et je relis en ce moment. Et pour ceux qui veulent comprendre qui sont les Russes, l'âme russe, il y a tout dans ce livre. Dès le début du livre, Raskolnikov, le personnage principal, fait un rêve quand il est tout petit. 

01;21;52;16 - 01;22;32;30
Il est enfant et il marche avec son père et il voit - c’est la compagne russe - et il voit ce qu'on appelle des moujiks, c'est-à-dire des gens appartenant à la terre, pauvres, des villageois. Il y en a un qui tient un vieux cheval et qui a une charrette derrière. Et cet homme-là qui possède ce cheval, un vieux cheval qui est quasiment incapable de marcher, invite tout le monde de le rejoindre dans la carrosse, tout le monde - il crie à voix haute - de venir dans la carrosse. 

01;22;32;30 - 01;23;07;18
Il va ramener tout le monde, rassemble. Mais il est comme ça. Il accumule, accumule des gens sur le dos de ce pauvre vieux cheval… Il faut découvrir la fin. Et ce passage là je ne vais pas raconter comment ça se termine, mais ce rêve, qui est en réalité un cauchemar, reflète incroyablement bien qui est et ce que c’est la Russie

01;23;07;21 - 01;23;39;47Yegan
Il faut raconter la fin! 

Guévork
Tu liras.

Yegan 
D’accord.

01;23;43;48 - 01;23;47;22Guévork
Ça dit beaucoup, et long et peut être nos leaders européens, aux Etats-Unis devraient aussi lire ça. 

Yegan
Guévork Aïvazian merci beaucoup. 

— Guévork
Merci à toi, grand plaisir. 

Yegan
Allez on va faire deux-trois photos.

8 mai 2022
Amsterdam (Pays-Bas)