VALENTIN DOMMANGET
Magneto - décembre 2019

9 décembre 2019, 16:15
Berlin (Allemagne)

 

Yegan : Alors c'est parti. Comment va-t-on procéder ? Bon, l'idée c'est de te présenter, de parler un peu de ton taf et de deux-trois trucs...

Valentin : On est live-streamé sur facebook ?  

On est live-streamé sur facebook exactement... 

J'ai un peu la pression, c'est marrant ! (rires)

 

Du coup Valentin...

Dis-moi Yegan...

On va commencer par poser le cadre...

 Posons le cadre...

On ne va pas parler comme ça pendant tout l'entretien... (rires).
T'es de Châlons toi c'est ça ?
 

Je suis de Châlons Yegan...

 

T'es un petit gars de Châlons...

Châlons-en-Champagne, pas sur Saône...

 

Châlons-en-Champagne, exactement, donc petit gars de la campagne, ce qui nous rapproche un peu toi et moi... 

Oui mais moi je suis du bourg de Châlons, ce n'est pas la campagne. Je n'étais pas dans les champs. C'est la province, pas forcément la campagne.

 

Ah pardon, pas la campagne. Et ce que tu me racontais la dernière fois c'est que quand tu étais à Châlons, t'étais pas mal dans le tuning ?

La période tuning c'était quand je trainais avec de très bons potes qui étaient un peu lascars-ghetto. J'avais un scoot qui était modifié avec des lights bleues et des carénages spéciaux. J'avais poli mon carter pour qu'il soit chromé comme mon casque de cross qui avait des flammes... 

Très lourd. Combien de temps ta période tuning ? 

Jusqu'à ce que je me fasse désosser mon scoot sur le parking du Carrefour par des gitans. (rires). À l'époque j'avais un bête de scoot, un Yamaha Bw's noir que j'avais fait vraiment propre, petites poignées bleu chrome, rétros fibre de carbone, carénages full black magnifique, bref... Et quand je suis sorti du Carrefour il n'y avait plus que la structure du scoot, plus rien dessus... La roue tournait dans le vide, ils avaient allumé le moteur et m'avaient remplacé mon rétro par un vieux tout pourri...

L'enfer... 

Il n'y avait meme plus les carénages, c'était comme une vieille carcasse de poulet le truc... ça m'a soulé j'ai arrêté, j'ai laissé tomber.

 

Un traumatisme cette période tuning en fait. 

Je n'ai pas trop fait de tuning en vrai... Toute cette période-là se passait sur le parking de Carrefour, on s'y donnait rendez-vous les mercredi et samedi après-midi, on zonait en crew de « chicken nuggets » et on matait les meufs. Quand on ne faisait pas ça on jouait aux jeux vidéo. Il y avait un cyber café qui s'appelait Surf'N'Shoot dans la rue de mon lycée, et là on s'est mis bien en lan.

On avait une team Counter Strike, ça faisait du frag sec, mais y'avait aussi des mecs qui se tapaient avec les claviers, on était pas mal geek.

Moi les cybers cafés c'était en Iran, c'était une bonne ambiance. Et t'avais pas encore d'ordi à la maison ? 

J'avais, mais c'était plus cool d'aller au cyber. Mon ordi c'était un Packard Bell à l'ancienne branché dans le salon mec, le soir je devais me cacher parce que mon père voulait que j'arrête après 21:00. Parfois il descendait à minuit et je devais me cacher derrière les poutres de la pièce comme un fugitif. Une fois il est descendu, avec son peignoir et tout, je l'entends qui arrive, j'éteins l'ordi en speed, je me cache derrière une poutre, il arrive, il me regarde derrière la poutre et il me dit « qu'est-ce tu fous, là ? » (rires) « va te coucher. » Du coup j'ai fait bluff d'aller me coucher.. puis j'y suis retourné.

 

Donc... traumatisme poutre, traumatisme tuning, (rires) et ces potos avec qui tu faisais du cyber il y en a que tu vois encore ?

Pas beaucoup, mais je suis toujours en contact avec mon meilleur pote de l'époque, Guillaume M. Dès que je me connecte sur Steam il est là. Bah tu sais, la dernière fois c'est lui qui était online quand on s'est log sur Heroes !

 

Ah oui ! (rires) 

On est resté super potes, même si on s'est très peu revu depuis. C'est essentiellement lui qui me fournit des screenshots pour les lenticulaires que je fais (note : l'imagerie lenticulaire est un procédé d'impression permettant de produire des images qui donnent une impression de relief ou qui changent en fonction de l'angle).

 

Ah je savais pas, tu peux expliquer un peu ces pièces ?

Je demande un paquet de screenshots à Guillaume, avec des perso sur WOW (World of Warcraft) qui lancent des sorts, des temples, des mobs, ou tout ce qui semble exploitables; sur Battleground également. Et du coup je puise des petits morceaux de ce qui m'intéresse dans vingt, trente, quarante screenshots qu'ensuite je modifie sur photoshop et j'en fais des collages digitaux. Je les agrandie, je les twist et je recrée une esthétique qui est en lien avec ma peinture. Bien sûr sur ces visuels j'enlève les icônes, les personnages, j'en fait une œuvre abstraite qui ne ressemble plus du tout aux screenshots d'origine. C'est fluide, galactique. Puis vient la phase où je l'imprime en lenticulaire. Le visuel change en fonction de l'angle de vue, comme ces cartes postales de petits chats ou de Jésus tu sais. Pour ça je fais appel à un couple d'imprimeurs berlinois qui offrent leurs services aux artistes afin de pouvoir les tirer en pièce unique car normalement ça se fait easy en Chine mais pour minimum 1000 exemplaires...

Ce travail est arrivé à un moment où je ne savais plus trop si j'allais rester à Berlin ou vadrouiller, alors j'ai cherché à continuer de produire mes peintures mais seulement sur ordinateur. Ne plus avoir à consommer de la peinture, des bombes, de la toile aussi c'est libérateur, comme pouvoir me dire que n'importe où je suis je peux créer des trucs en liens avec mon travail antérieur et qui se nourrissent de jeux vidéo et du numérique en général.

Et pourquoi le lenticulaire, il y a une raison ?

C'est un thème dans mes œuvres, j'aime partir de techniques soit dites traditionnelles, ou bien alors utilisées dans la confection d'objets populaires, souvent relié à l'enfance, et voir comment on peut aller plus loin, explorer ces media-là, mais à l'aide d'outils informatiques qu'on a porté de mains. Généralement j'essaye de puiser dans l'habitat naturel d'un internaute lambda sans trop m'en éloigner – sauf quand je fais de la VR avec le HTC Vive Pro (note : Virtual Reality - réalité virtuelle) mais ça c'est autre chose –. J'essaye de puiser dans l'immédiateté de nos rapports à l'ordinateur mais de pousser plus loin les logiciels pour en faire des outils créatifs augmentés. Aussi pousser plus loin l'univers de ces jeux vidéo, leur esthétique, mais également – et ça c'était un travail que j'avais commencé avant – de faire un travail de promoteur des communautés en ligne, de montrer que dans les galeries il n'y a pas que des sujets traditionnels qui ont leurs place en y faisant entrer ces gens des forums, ces amateurs de jeux vidéo ainsi que les joueurs professionnels. L'e-sport c'est ouffissime en ce moment, ça remplit des stades mais on en parle pas du tout dans les médias mainstream, enfin très très rarement.

 On dit souvent que l'esthétique du gamer c'est un truc geek kitsch, mais pas du tout à mon goût, et mon but c'est de le mettre en lien avec l'histoire de l'art avec une visibilité dans les galeries d'art. Montrer que ça peut être super élégant et que c'est le spirit du moment. On a tous une seconde vie derrière nos écrans mais on a tendance à toujours la minimiser. J'ai envie de montrer comment l'artiste s'inspire de toutes les nouvelles technologies qu'il y a autour de lui pour tout de même continuer à faire des objets picturaux. 

C'est ça que je veux, incorporer ces codes de quand j'allais chez Surf'N'Shoot, ceux de ma propre histoire en fait, dans ce milieu de l'art contemporain. J'ai été un gamer, je suis un mec qui est tout le temps derrière son ordi à regarder les nouvelles technologies, c'est une facette majeure qui influe ma carrière artistique...

 

 T'es toujours un peu un gamer, on va jouer à Heroes tout à l'heure...

(rires) C'est ça, parler d'un sujet que je connais et qui me tient à cœur, et de le mettre en lien avec mon taf qui est d'être artiste et de créer de la culture et du dialogue autour de topic pertinents. Je veux avoir des gens de 15 ans ou 70 ans qui viennent à mes expositions et leur ouvrir certaines portes sur des éléments de leur quotidien qu'ils n'ont pas l'habitude sous cet angle.

J'ai commencé ce travail quand j'ai fait mon expo en Belgique à Triangle Bleu, qui s'appelait « How to Make an Exhibition », et qui était basée sur les tutos YouTube. Pour chaque œuvre je visionnais une vidéo et j'apprenais en temps réel la technique en question – en l'occurrence pas mal d'aérographe –. J'ai chopé un compresseur à air sur Ebay, d'ailleurs ça aussi c'est assez important, je cherche toujours à acheter le maximum en ligne, il y a toujours ce rapport au net.

Bref, pour « How to make an Exhibition », c'était des tutos airbrush paintings, avec par exemple un mec qui t'apprenait à faire du flamming sur une cuvette de toilette, alors j'apprenais en regardant ce truc, je l'appliquais sur ma toile, et je m'inspirais en même temps d'artistes modernes comme Lucio Fontana, un bon artiste italien, qui lui a libéré la peinture de la toile et du châssis.

Ça me dit quelque chose, c'est pas un truc à la Soulage un peu ? 

Oui, esthétiquement ça peut se ressembler.

Il y a un cuisinier italien aussi qui fait ça, Massimo Bottura, une recette très connue avec un œuf parfait qui s'ouvre et qui libère un liquide vert. C'est inspiré de cet artiste ?

Ça ne me dit rien mais c'est possible. Bref, du coup j'ai fait des pochoirs à l'aérographe représentants trois coups de couteaux avec du flamings à l'intérieur, et ça c'était des pièces. Après j'en ai produit davantage, il y'en avait certaines exposées sur des racks de vélo que tu mets derrière ta caisse normalement, pour la plaque d'immatriculation je refaisais un design en y inscrivant le nom du Youtuber. Il y en a une par exemple où c'est écrit « Ed Hubbs » car c'est le nom du Youtubeur. Ce sont des genres de tributes à ces mecs-là qui deviennent profs de façon totalement bénévole juste en partageant leur knowledge sur le net. Cette expo était aussi basée sur l'esthétique garage, sur ce concept du garage qui il me semble est apparu dans les années 60' à peu près. A cette époque, le garage a vraiment changé de face aux States, alors qu'avant c'était un simple endroit où tu rangeais ta caisse c'est devenu un lieu mieux aménagé, avec un établi, des outils, où les pères de familles pouvaient montrer à leurs enfants comment faire du bricolage, comme j'en sais rien, une maison pour oiseaux, un truc comme çà !

 

Parallèlement à l'émergences des classes moyennes, à l'augmentation du confort, des revenus, du temps libre...

Exactement, il y avait la passation de certains savoirs qui se faisaient dans ces garages, maintenant on continue la même histoire grâce à ces mecs-là qui se filment dans leur garage puis le balance en ligne. Tu deviens leurs fils anonyme d'une certaine manière, je trouve ça cool. Ce sont des artistes à part entière et ils ont totalement leur place en galerie, leurs noms devraient y apparaître, au même titre que les vedettes artistes qu'on encense...

 

Big up à tous ces artistes anonymes...

Voila ! (rires) Et c'est mon job aussi de les représenter vu que j'en suis un.

 

Toi tu ne viens pas d'une famille d'artistes, je ne crois pas ? 

Mon grand-père pourrait être considéré comme un artiste. Il faisait de la peinture, il faisait tout de ses mains, il construisait tout. Quand mes grands-parents sont arrivés en France ils habitaient dans une cabane en bois dans la forêt où ils devaient se débrouiller à l'ancienne...

 

Parce qu'ils viennent d'où tes parents déjà ? 

Mes grands-parents, eux viennent de Sicile. Ils sont arrivés quand Maria, ma grand-mère, était enceinte de ma mère. Giuseppe, mon grand-père, construisait entre autre des jouets parce qu'ils n'avaient pas de quoi les acheter en magasin. Ça a toujours été un sculpteur, un peintre.

Et ton padre ? 

Mon père était anticaire brocanteur. Ca lui arrivait de retaper des meubles, mais c'est surtout ma mère qui m'à donné l'opportunité et les crayons pour tout le temps dessiner. Elle a un restaurant mais trouvait le temps de faire de la poterie quand j'étais petit, elle aimait faire pas mal de choses elle aussi, comme façonner des petits anges en terre puis les bomber en or.

 

Et tu as fait quoi après, tu t'es pas mis à l'art directement ?

Non, j'ai voulu faire de la coiffure pour un temps.. J'ai arrêté ma seconde au lycée dans le but de faire de la coiffure dans les backstages des défilés, pour faire court ça m'a vite saoulé. Je suis retourné en seconde, mais ça aussi ça m'a saoulé, du coup je n'allais plus en cours, je jouais non-stop. Un jour ma mère m'a dit "Tu ne peux plus continuer à rester devant ton ordinateur à jouer. Descends au restau, tu vas apprendre un truc, tu vas te faire un peu d'argent. » On se demandait ce que j'allais faire, et elle m'a dit « et bah tu vas à l'école d'hôtellerie, t'apprends à tenir un business et plus tard tu reprends le restau. » J'y suis allé, j'étais premier de ma classe, je kiffais en fait. Mais parce que l'école n'était pas top, c'était un lycée professionnel avec des routiers, c'était un truc de cassos' un peu tu vois..

 

Des routiers ? (rires) 

Ouai, mais je dis pas que les routiers sont des cassos' hein. Mais ce n'était pas vraiment une école d'hôtellerie, il y avait des électriciens, il y avait de tout en fait là bas, et donc il y avait aussi un BEP Hôtellerie, il y avait des gens qui se retrouvaient dans ma classe comme ils auraient pu se retrouver en BEP de secrétariat, ce n'était pas des gens qui étaient là pour la passion, du coup c'était une ambiance un peu ghetto, chelou, ça m'a saoulé. Nos vestiaires sentaient la pisse car les gamins qui apprenaient le taf de techniciens de surface trouvaient ça drôle de pisser dans nos casiers, alors finalement j'ai pété un câble, j'ai appelé le Chef, j'ai dit que moi je ne m'habillerais plus dans ces vestiaires tant que ce n'était pas propre.. En réponse à ça il nous a fait récurer les sous-sols toute la journée. On est tous descendu en bas avec des berlingots remplis de javel et des tuyaux d'arrosage pour nettoyer.

À un moment j'ai dit « putain ça me saoule », on a commencé par bloquer le bas des portes, on a fait monter le niveau de l'eau et c'est parti en bataille de javel, c'était le bordel. On a recouvert la voiture du Chef d'une montagne de mousse et on s'est tous cassé en courant, puis je ne suis jamais revenu.

Je me suis fait convoquer of course, mais en fait c'était pour me demander de revenir car j'étais un bon élément, j'ai dit non. J'ai dit non parce que pendant les cours d'hôtellerie on avait une prof d'art qui nous faisait dessiner genre des couteaux, mais qui surtout une fois m'avait mis un 21/20. Elle avait dit devant toute la classe : « Je suis désolée, ça fera peut-être pas sens pour beaucoup d'entre vous mais il y a des gens dans cette classe qui méritent un 20/20 mais Valentin est au-dessus du coup j'ai dû lui mettre 21 ». 

(rires)

Du coup j'ai capté l'idée. A la fin du cours on a discuté, elle m'a dit que ce serait bien que je fasse une école de graphisme ou un truc comme ça. « Reprends tes études »...

Tu l'as revu elle ? 

Non je ne l'ai jamais revu, je ne me souviens même plus de son nom c'est ça le problème.

 

C'est tellement important les profs comme ça...

Ouai... Du coup je me suis dit « allez je retourne au lycée ». Heureusement la directrice était italienne et ma mère est partie lui parler en italien. (rires) Parce que ça faisait deux fois déjà que je m'étais cassé, j'avais jamais fini ma seconde à deux reprises, je me tapais les pires notes car j'avais décidé que je ne ferait plus les contrôles dans certaines matières. Au final je suis passé direct en Première L option Art Plastique. A la fin du lycée j'ai du faire mes choix post-bac, je voulais faire graphisme donc j'ai demandé les écoles d'art de Paris mais ma prof d'art p. m'a dit de ne jamais tenter Paris car « il n'y a jamais aucun de mes élèves qui a eu Paris avant, non non il y a des trucs à Chaumont. » Genre plutôt l'esprit à te pousser vers le bas en te disant ne tente même pas. 

Bien sûr du coup je n'ai tenté que Paris (rires). Et j'ai eu Paris.

 

Et t'as passé ton BAC du coup la troisième fois ? 

Ouai j'ai fait le minimum pour avoir ce truc, mon BAC, juste pour choper le droit d'aller en école d'art.

 

Paris du coup. 

Paris. Je suis allé en mise à niveau d'art appliquée à Olivier de Serres, dans le XVe. J'habitais au bout de la rue c'était trop bien mec. J'étais bon pote avec un de mes profs, Philippe, du coup ca m'est arrivé de l'assister dans son atelier. C'est lui qui m'a vraiment montré la peinture, il faisait des grosses peintures avec des aplats de couleurs, c'est un mec plus stylé que Harley Davidson, il est cool, il faisait de la boxe. C'était lui qui m'a conseillé sur ce que je devais faire après la MANAA, parce qu'à ce moment-là je me focusais sur le graphisme. Mais avec lui j'ai découvert que c'était possible d'être artiste, d'avoir un atelier. Je me suis dit que je pouvais peut-être faire de même. Et il m'a dit « va en design de mode textile », parce qu'on avait cette section à Olivier de Serres, « Je suis un des profs principaux là-bas, tu pourras faire ce que tu veux ». Du coup je suis allé dans la mode, et j'y ai passé deux ans... Je m'étais trouvé une porte de service sous les escaliers de l'amphithéâtre, personne connaissait ce truc-là. C'était un autre prof avec qui j'étais également bon pote qui m'avait dit « si tu veux j'ai un petit coin où je vais boire du vin entre deux cours de nue, tu peux l'utiliser comme atelier ». J'ai passé deux ans là-dedans. C'est là où j'ai développé mes premières vraies techniques, notamment sur des carreaux de céramiques. 

Ah ouai ? C'est ça les premières céramiques ? Un des trucs que tu m'as offerts pour mon anniversaire ? 

Ouai. Ça c'est 2011. J'avais fait mon projet de fin d'étude sur le papier marbré, le suminagashi, qui est une technique traditionnelle japonaise.

 

Oui je vois bien, qui est aussi très présente en Turquie.

Oui, voilà, l'ebru en Turquie. Je cherchais comment aller plus loin dans cette technique traditionnelle mais avec de nouveaux matériaux.

 

Ah c'est de là que ça vient, je n'avais jamais fait le parallèle.

J'ai essayé plein de variations avec de la cire, des pigments phospho, des fluo, des produits plus chimiques.. à un moment j'ai trouvé mon truc avec de la bombe, ça me sortait des effets de ouf. J'ai dû construire une table particulière pour gérer cette technique, inverser le process, mettre la toile, puis l'eau, et machin. C'est devenu mon projet de fin d'études.

 Plus tard pendant mon master à la Saint Martins, je voulais m'occuper davantage du volume en créant des pièces qui soient en lien avec l'art et notamment un courant qui s'appelle le Support /Surface qui est un groupe d'artistes des années 60, un peu à la Fontana, qui voit la peinture comme quelque chose de plus sculpturale où le châssis prend vraiment part entière de l'œuvre. Ca parle de comment tu tends une toile, ça pose la question de si c'est toujours du domaine de la peinture.

J'ai continué le questionnement en modélisant des châssis 3D sur SketchUp et en créant des glitchs. Je recréais ces châssis buggués dans le réel, les formes venaient des glitchs, tout ça basé sur notre délire transhumaniste : qu'est-ce que l'accident dans la création et qu'est-ce que l'accident dans la machine ? Mis en relation à la même phase aléatoire que j'avais dans ma peinture – qui était la création d'accidents sur de l'eau – je cherchais à comprendre comment une machine pouvait à son tour délivrer ses propres créations. Je me suis dit que par logique je devais chercher dans le bug informatique, là où vraiment il y a un mec qui programme un truc et tu ne sais pas pourquoi la machine fait un autre truc et tu fais « waaah » et du coup tu trouves des cracks. C'était le bug sur Sketch-Up qui faisait que ton volume se déformait, normalement c'est un truc que tu ne veux pas, mais moi c'est ce que j'ai voulu utiliser justement pour la forme de mes peintures.

OK... On n'avait jamais parlé de ces trucs-là. Intéressant ce concept d'accidents dans la machine. 

J'en parle souvent dans mes textes. Parce que j'étais super fan d'Asimov et Ray Kurzweil, le pape du transhumanisme. Il y a ce bouquin the Age of the Spiritual Machines : When Computers Exceed Human Intelligence, c'est sur la Singularité.

 

La Singularité comme dans Ghost in the Shell ?

The Singularity, yes. Et du coup voilà, ça fait des Chocapics !

Mais avant ça j'ai aussi fait du Design Industriel à Olivier de Serres. J'ai aussi voulu entrer aux Beaux-Arts, de Paris, Rennes, Brouxelles.

Brouxelles ?

Brussels, yes. Les Arts Décos, la villa d'Arson, les Beaux-Arts... J'ai tenté 8-9 écoles en tout. J'allais devant les jurys, je prenais mon petit train avec ma valise, je dormais dans des auberges de jeunesse et je me suis fait refouler de partout. Vraiment partout. Alors qu'à chaque fois les jurys se passaient trop bien, une fois ils ont carrément appeler des élèves de l'école pour leur montrer mon dossier comme exemple, mais à chaque fois quand je recevais les réponses par courriers j'étais refusé. Aux Beaux-Arts de Paris je suis allé chercher une petite note pour comprendre pourquoi j'avais encore été refusé et c'était juste écrit : « Mauvaise orientation ». 

Ah les enfoirés...

Genre mauvaise orientation. C'est parce qu'apparemment il y a une guerre du Ministère de la Culture et du Ministère de l'Éducation. Je venais d'une école d'art appliquées qui dépend du ministère de l'éducation alors que pour les beaux-arts c'est le ministère de la culture. Quand t'as commencé un cursus dans l'un c'est difficile de passer à l'autre à cause d'une histoire de budget je ne sais quoi, donc si t'es passé par une MANAA, d'après eux il faut devenir graphiste, designer ou je ne sais pas quoi, mais tu n'es pas un artiste.

Du coup je n'avais plus de perspectives. Je m'entendais très bien avec la directrice à Olivier de Serres, je suis allé la voir et elle m'a dit que je pouvais rejoindre la section BTS Design Industriel directement en 2e année, comme ça à la fin de l'année j'aurais un diplôme en plus et le temps de bosser à nouveau les concours des Beaux-Arts.

 

Et c'est là où tu as eu la Tate ? Heu, qu'est-ce que je raconte, la Saint Martins.

Yes la Tate c'est un peu après. (rire)

 

C'est un peu plus tard, c'est dans le turfu. 

En design industriel j'étais avec une fille qui s'appelle Marjorie et qui allait en master à la Saint Martins. Elle m'a dit de checker cette école, je ne connaissais pas du tout. Je me suis rendu compte que c'était un truc de ouf seulement après avoir passé le concours. J'ai fait tout mon dossier sans pression, ils m'ont appelé pour l'interview, j'y suis allé, j'ai pris un petit Eurostar, j'ai dormi dans un parc devant l'école et j'y suis allé à l'ouverture, puis j'ai dormi sur le sofa dans le hall. J'étais arrivé à 3h du mat' à la gare de Londres et j'avais mon rendez-vous à 10:00, je me suis débrouillé, j'avais pas de tunes. Et bref j'y suis allé, j'ai eu cette interview avec le course leader Stephen Williams et à la fin il me dit que c'est bon je suis accepté, que j'ai juste à apprendre la langue. Je lui ai dit « T'es sûr?! Parce que je viens d'art appliquées.. », et il me répond « oui oui, tu peux être danseur, boucher, ou whatever ce que je vois c'est ce que je vois, et tu as ta place ici ». Du coup je suis sorti et j'ai dansé dans la rue. (rires)

 

Trop bien. 

J'ai trouvé cette carte juste devant la porte quand je suis sorti de l'école dans la rue, - montrant une carte holographique bouddhiste au dos de son phone - j'étais trop heureux. La Saint Martins School c'est 3000 candidatures, ils en prennent 200 pour les interviews et ils en gardent seulement une trentaine à la fin.

 

Touché par la grâce.

Du coup j'ai déménagé à Londres pour passer 2 ans la bas. A la fin je voulais vraiment vivre de ma pratique direct, je ne voulais pas faire un petit job à coté, alors déjà pendant mes études je faisais ma comm' et c'est comme ça que j'ai découvert mon galeriste, sur Facebook. Il est venu à mon diplôme de fin d'année.

Olivier ? 

Olivier, et c'est avec lui que j'ai bossé depuis tout ça. Il m'a découvert pour mes peintures, mais il m'a toujours laissé libre d'explorer. Il m'a très vite dit : « tu peux faire ce que tu veux, de la vidéo ou quoi, ce n'est pas parce que tu sors d'école et que t'es tout de suite en galerie qu'il faut que tu te bride », donc ça m'a pas mal motivé. Ça m'a peut-être un peu déstabilisé en terme de carrière des fois de faire des expositions totalement différentes où les gens ne comprennent pas vraiment le lien d'une oeuvre à l'autre, sauf s'ils sont vraiment aware de ma pratique.

 

De passer d'un medium à l'autre ?

Oui parce que quand t'es peintre, surtout quand t'es jeune peintre et que tu dois faire ton nom, limite il faut que tu serves le même plat à toutes les expos pour que tu aies une sorte de marque à toi pour que les gens te reconnaissent.

Je pense que tu l’as quand même.

Je l’ai mais c’est dur de me définir. Et les collectionneurs et les galeristes ils aiment définir un artiste en tant que peintre ou quoi. Certes, je fais pas mal de peinture mais je fais pas du tout que ça.

 

C’est vrai que ça fait un moment que je t’avais pas vu peindre, vu que tu t’étais lancé dans la VR puis dans la céramique à temps plein, mais récemment j’y pensais, et en fait tu vas tout le temps continuer à peindre, tu vas faire les deux en même temps ? 

Tout le temps. Je vais faire les deux, les trois, les quatre (rires). Attends je vais juste pisser…

Et… Tu vas où ?

 Je vais pisser.

 

Ah. OK alors je vais rappeler ma mère. (magneto off)

 De retour avec Valentin Dommanget, dites-moi donc : je voulais parler de ce nouveau délire de céramique, est-ce que tu peux nous en dire plus ? (rires)

(rires) La céramique ça s'est fait à mon retour du Japon... En fait non, ça fait super longtemps que ça me fascine. Je pensais que c'était une discipline très compliquée, que si tu n'avais pas fait d'études de céramique tu ne pouvais pas vraiment te lancer comme ça. Finalement j'ai appris avec Youtube. Peut-être parce qu'à un moment j'habitais dans la forêt, j'ai commencé à me mettre en marge de l'art contemporain, je n'étais plus dans le même esprit que lorsque j'étais à Berlin avec mon project-space où j'allais à tous les vernissages, à cette époque je sortais tout le temps pour faire du networking. 

Quand je suis arrivé dans la forêt, je ne ressentais plus autant l'envie d'être dans le système de l'art contemporain. Par conséquent j'ai cherché un medium qui pourrait me permettre de continuer à être créatif mais auquel j'ajouterais une sorte de fonction. 

Il y avait aussi un truc qui me dérangeait, c'est que mes peintures, même si moi je voulais m'en acheter une, et bah en vrai je peux pas ! (rires) Quand j'en parle à ma famille, mes potes, du prix de mes toiles, ce n'est pas vraiment notre monde. Ce que je voulais c'était produire des petite pièces que je puisse céder à des prix beaucoup plus raisonnables, que ce soit toujours de la même qualité qu'une peinture, mais à des prix beaucoup plus faibles. Notamment en France, je pense que la céramique c'est un peu ça : ce sont de petites œuvres, mais vue qu'elles ont une fonction, ce n'est pas mis au même rang que la peinture – ce qui est totalement différent au Japon. J'ai découvert ça pendant mon voyage, c'est ce qui m'a poussé à m'y mettre. Tout en continuant à avoir un atelier, ça me permet de produire parfois des œuvres en céramique, parfois de peindre, c'était vraiment ça l'idée.

 

Tu sais que je vais le rouler le prochain...

...Tu insinues que je roule mal ? (rires)

 

Non tu ne roules pas mal, juste je roule mieux que toi... (rires) 

Et du coup c'est en allant au mariage de mon pote Charli au Japon en 2018 où je créchai dans un dojo de sumo converti en building avec 7-8 ateliers d'artistes que j'ai vu une façon de faire de l'art beaucoup plus honnête, et peut-être mignonne justement, « kawaïï », plus ancestrale aussi. Je suis allé me balader dans le district Kappabashi, celui des cuisiniers, et en visitant les magasins de céramiques c'est là que je suis tombé amoureux de ce que j'y ai vu. C'est tellement beau, précieux, tu te demandes comment ils peuvent faire ça. Après ça je suis rentré en France avec des céramiques japonaises, puis j'ai diggé le sujet sur internet et je me suis dit : « vas-y je veux faire la même chose. »

J'avais envie d'être posé à l'atelier, et comme j'adore construire mon environnement c'était bien de repenser tout mon espace et de me dire : « ce n'est plus qu'un atelier de peinture, je le repense en atelier de céramique. » De mon retour du japon en octobre jusqu'à mars j’ai pas touché à un bout d'argile, mais dans ma tête je me disais déjà « c'est de la céramique que je fais maintenant ». Tous les jours j'apprenais davantage sur le sujet, je ponçais les forums, les vidéos,.. pendant 4 mois je me suis fait ma propre école, je suis même allé aux portes-ouvertes des écoles de céramique pour observer leurs structures...

Tu m'as forcé à regarder des documentaires... 

(rires) Ouai j'ai tout maté mec... J'ai tout appris comme ça, limite c'est devenu une sorte de projet annexe aux tutos paintings et aux pièces où j'apprenais en live des techniques sur Youtube. Je me suis exercé en faisant quelques bols puis j'ai fait ma première vraie oeuvre à Casablanca, là-bas j'ai fait trois sculptures de 3 mètres 50 faites de métal, de bambou et de rubber de vélo mais surtout de pièces de céramiques. Je fais de la céramique tournée d'ailleurs et non du modelage. Donc d'abord t'apprends à faire un bol sur le tour, et une fois que tu maitrise tu peux faire des formes de ouf et donc des sculptures.

© Valentin Dommanget (céramique et set design) x Alexandre Felix (2019)

C'est vrai que t'as bien avancé cette année. 

A côté de ça j'ai également développé la VR cette année. Cette année était particulière... Dans tous les cas il fallait que je parte de la forêt, que je me re connecte à Berlin.. maintenant il faut passer à la suite.

La forêt c'était comment ? Au niveau du taf c'était bien ?

Le taf ce n'était pas vraiment le but, parce qu'avant Berlin ça se passait vraiment bien à ce niveau là et ce n'était pas un choix de casser cette dynamique.

 

Avec ton space, State of the Art ? 

Ouai. Mais il s'est passé ce qu'il s'est passé. Mon père avait le cancer, il fallait que je me rapproche de lui, que je sois auprès de lui, et ça s'est fait comme ça. La forêt c'est grâce à Pavlé qui m'a invité à les rejoindre dans cette maison en pleine nature. J'ai pu passer une année à être mentalement présent essentiellement pour mon père, et quand je n'étais pas à ses côtés j'essayais d'avoir no stress et donc de chiller dans la forêt, auprès des arbres et entourés de personnes adorables.

Mais t'as quand même fait pas mal d'expo en 2018 ? 

Ouai ouai j'en ai fait pas mal. J'ai construit un bête d'ordinateur, j'ai acheté plein de matos pour la VR. Un nouveau taff inspiré de mon expo There chez Display à Berlin où tu mettais ton iPhone dans une case et tu visitais la galerie en mode virtuelle et physique, les pièces physiques étaient inspirées de ce que j'avais créé dans le virtuel. 

Mais non, être dans la forêt, vu que cette expérience était liée au départ de mon père, il fallait que je bouge à un moment. Je ressentais de plus en plus le besoin de rencontrer de nouveaux gens aussi. Quand je suis parti de Berlin ce n'était pas par envie, cette vie me manquait et je ne me voyais pas aller autre part, comme Paris par exemple, donc ouai, je savais que j'ai encore plein de choses à faire à Berlin. C'est une ville où tu peux monter des projets plus facilement, je kiffe Berlin et je veux remonter quelque chose ici, je suis content d'être de retour, je me sens super bien. Je n'ai pas de pression, c'est stimulant, je prends le temps de rebattre les cartes, plus mature, plus posé que ces quatre dernières années qui ont été assez folles. (rires)

 

Ouai, on en parlait avec Alex, quand on a eu cette discussion. Quatre années cheloues, hyper rapides...

Il s'est passé tellement de choses...Entre 2014 et 2018-19, il s'est passé trop de choses. Ça a été un délire. Quand j'étais en école d'art, je me disais que si à 35-40 ans j'étais représenté par une galerie parisienne ce serait trop cool, à la sortie de mes etudes j'avais deja rempli cet objectif. Le fait que tout ça soit arrivé si vite, que je sorte d'école et que je travail avec Olivier, c'était en mode « Done! What's next ? ». Du coup j'ai vite cherché plus plus plus, mais en fait c'est peut-être pas ça.

T'as jamais pété un câble avec ce truc de succès, de tunes ?

Non, vraiment pas. Et tu sais quand t'es dedans tu comprends l'envers du décors. Tu comprends pourquoi t'as cet article-là dans ce magazine-là, c'est grâce à intel ou intel, quand t'as parlé avec cette personne-là, qui connait cette personne-là... le networking quoi. 

 Je ne suis pas imbus de ma personne, mon travail ne parle pas de moi au sens personnel, je ne suis pas du tout dans l'oeuvre autobiographique, je suis dans une pratique où l'aléatoire a une grande place : le laisser-aller de la peinture sur l'eau, l'indépendance de la machine, penser plus en tant qu'humain plutôt qu'en tant que personne, et penser l'humain avec la machine dans son sens large...

 

C'est pas un peu autobiographique d'insuffler dans ce que tu fais ta vision des choses, des éléments de ton histoire ? 

J'essaye quand même de parler de sujets universels. Certes je puise dans ma propre histoire, parce que je m'appuie sur ce que je connais et des esthétiques que j'apprécie, mais je ne parle pas de ma vie, je parle de comment tu peux trouver des bugs informatiques et les exploiter avec créativité, de comment du jour au lendemain tu peux te définir, te réinviter, je parle de l'acte de création, de l'art, de la technicité. 

Quand je suis dans des magazines j'aime qu'on parle de mon taf, pas de moi. Je ne suis pas une célébrité moi-même, je suis nobody. Je suis un jeune artiste qui a plutôt bien réussi. Les gens ont apprécié mon travail et c'est cool, ça me donne envie de continuer. Mais je ne vais pas péter un câble.

Tu veux faire ça toute ta vie ? 

Je ne vois pas les choses autrement à l'heure actuelle. Par contre je pense que j'ai une personnalité qui peut me pousser à tout changer sur un coup de tête. Je te disais tout à l'heure j'ai envie d'ouvrir un refuge pour animaux...

 

Ah ouai c'est vrai ! (rires) 

Depuis que j'ai 18 ans j'ai tout le temps bougé, d'appart', de ville, de pays. Tous les deux ans c'est une nouvelle expérience, ma pratique évolue en fonction de ça. Je me dis qu'à un moment je vais me retrouver dans une histoire où le scénario va me pousser à changer, parce que j'aurai envie de m'éclater avec quelque chose d'autre. Je m'éclate beaucoup moins dans l'art contemporain aujourd'hui qu'avant, donc je pense à ces trucs de résidences, créer mon propre project space, à la bouffe aussi.

Je pense que j'aurai toujours ce truc, je suis né avec, j'ai toujours dessiné, j'adore créer tout le temps. Pourtant parfois j'ai l'impression qu'on ne perçoit pas directement mon hyper-activée de l'extérieure... (rires)

C'est sûr que là allongé sur le canap'... 

Mais je le suis quand même. C'est que j'aime chiller, c'est important pour la pression. Mais je suis tout le temps en train de penser à créer des trucs, dans ma tête ca fuse. Je culpabilise quand je n'ai pas été productif après quelques jours. Si je me dis que je vais apprendre l'aérographe je le fais, quand je me dis je vais apprendre la céramique je le fais, je serais toujours comme ça je pense, j'espère. 

 

Bon j'ai deux-trois questions aussi comme ça en vrac Valentin. A propos du transhumanisme, question cyborg : on te propose de te greffer un bras cybernétique, tu dis quoi ? ».

Raaah... J'aime bien mes mains... Je pourrai peut-être échanger la gauche, mais je garde la droite ça c'est sûr. Je prends pas le risque de perdre ma droite.

C'est vrai qu'avoir un bon bras gauche, bien connecté au cerveau, avec des améliorations, ça pourrait être pas mal.

Au moins le mettre à égal avec le droit. Je ne sais pas pourquoi on est comme ça, unbalanced, enfin si, c'est une question d'hémisphères du cerveau, mais ce serait mieux d'avoir deux droites.

OK. Question femme, est-ce que tu trouves que c'est plus facile de pécho quand on est un artiste ? 

Ouai forcément... Pas forcément dans le sens « ouai je suis un artiste blablabla», mais c'est sûr que tu apportes quelque chose de différent, tu n'attires pas les mêmes meufs non plus. Parce que t'as une vision des choses... Déjà être artiste c'est être un charmeur, il faut savoir charmer sa petite cour. Pour parler de caricature, Picasso, Dali, Da Vinci, ce sont des gars avec un charisme de ouf, un aura, c'est ce qui les rendait artistes. Quand tu fais une expo, un vernissage et que tout le monde est là pour toi, bah c'est sûr c'est plus facile de repartir avec une zouz... Mais bon, j'ai toujours eu une copine pendant mes vernissages, donc j'ai jamais vraiment eu ce plaisir là...

 

Plutôt bon signe. Question histoire, c'est quoi le grand moment de ta jeune carrière d'artiste ?

Je pense que ma rencontre avec Olivier Robert c'était très cool. C'était sur Facebook. Je m'étais décidé à enlever toutes les conneries que j'avais sur mon mur et ne poster que mes peintures avant de friend-requester les galeries qui m'intéressaient. Du coup Olivier a vu mon travail passer dans son feed et m'a envoyé un message. J'étais dans le bus pour aller en France, l'Eurolines. Je reçois le message d'Olivier qui me dit « Bonjour nous avons vu votre travail, blablabla, seriez-vous disponible pour nous rencontrer ?». Au meme moment j'allais chez mon pote Charli et là je vois le message, je fais « waaa trop bien ». En plus c'était vraiment parfait vu que j'arrivais au meme moment à Paris, il ne fallait pas attendre. 

J'arrive chez Charli et là on prend la nuit entière pour écrire un putain de message long comme ça, le lendemain matin j'envoie le message. Je fais la teuf la journée, le soir je fais la teuf avec Antoine, bref on boit pas mal. Et le matin je reçois une réponse, j'étais en scoot derrière Antoine, en mode gueule de bois, et je check le message : « Quand pourriez vous passer à la galerie ?». Et à ce moment-là, j'étais dans la rue de la galerie ! C'était ouffissime ! Je dis à Antoine « mec mec mec, arrête-toi là, arrête-toi là, c'est la galerie qui est juste là, ils veulent que je les rencontre ». Je descend du scoot, la tête toujours en vrac, je rentre dans la galerie, et là j'y vais. Olivier était dans son costume trois pièces dans le fond de la galerie et me fait « ahhh cool », et là on a discuté d'art, et c'était effectivement cool. Je me souviens exactement où j'étais assis, comment ça s'est passé. Il m'a dit « On va commencer à réfléchir à un group show et je passerai te voir à la Saint Martins School pour voir pour un solo ». Quelques mois plus tard il est venu, je suis allé le chercher à la gare de Londres, il était en mode costume, imper' de ouf, habillé un peu comme The Mask, avec une plume sur son chapeau. Il arrive avec lunettes de soleil et son pote style banquier. Tous les autres élèves regardent Olivier en faisant « waaaa », après on va se poser à la terrasse, il prend un cocktail et là c'était le début de notre taf ensemble, on a pas mal fait la teuf ensemble, surtout à Paris, c'était cool.

 Je pense que c'était ça un des meilleurs moments. Même s'il y en a eu plein. J'ai grave déliré avec Olivier. Franchement. Ca pouvait m'arriver de soutenir d'autres artistes de la galerie ou dépanner comme graphiste, parce que ça me faisait trop plaisir de l'aider, on bossait ensemble sur une base plus poussée que juste artiste-galerie, et à côté de ça on s'amusait, on allait au restau, comme des potes, même quand on allait sur Art Genève, il prenait un airbnb qu'on partageait tous ensemble avec les autres artistes, ma copine était la bienvenue, on se baladait en caisse, on rencontrait des gens marrants, des discussions cools à chaque fois. J'étais l'artiste qu'il représentait, parfois les gens pensaient qu'on était père et fils. C'était cool franchement.

 

Chanmé. Cimer Valou. Bah voilà, c'était l'interview, c'était ça mec. (rires)
C'était pas si compliqué hein ? (Magneto off.)

 

9 décembre 2019, 18:25
Berlin (Allemagne)